L’Abbaye cistercienne de Preuilly date de 1118. De la multitude des abbayes « filles » de Cîteaux (fondée par Robert de Molesme en 1098 près de Dijon), Preuilly est la cinquième, juste après les quatre grandes que furent La Ferté (1113), Pontigny (1114), Clairvaux et Morimond (1115).

C’est à l’époque de la fondation de Preuilly que saint Etienne, troisième abbé de Cîteaux, structura l’ordre cistercien en expansion par une charte, Carta Caritatis, charte de charité, qui régla les liens entre Cîteaux et les abbayes filles, par un subtil équilibre entre centralisme et autonomie.

C’est donc en août 1118 que quelques moines issus de Cîteaux se fixèrent à Preuilly, sous la conduite d’Artaud, premier abbé de Preuilly, condisciple et ami du futur saint Bernard, lui-même premier abbé de Clairvaux. Les terres avaient été achetées à Holdevin d’Egligny par le Comte de Champagne Thibaut le Grand et sa mère, Adèle, fille de Guillaume le Conquérant, pour être données à la jeune communauté.

Le nouveau monastère s’implanta solidement et put s’étendre grâce à différents dons et legs qui continuèrent de lui échoir, de sorte qu’il représenta bientôt un vaste domaine essentiellement agricole, exploité avec le concours des frères convers, sur des modes divers (fermes ou granges, moulins, tuileries, etc.) et sur des sites environnants plus ou moins éloignés, certains à une journée de marche de Preuilly ou même davantage. Les moines eurent aussi leur hôtel de Preuilly à Provins, à Sens, à Auxerre et même à Paris, dans le quartier du Marais.

La prospérité de l’abbaye, à Preuilly, se manifesta par la construction des bâtiments conventuels, notamment l’église abbatiale, longue de 85 mètres, que l’on peut dater des dernières décennies du XIIe siècle et qui vint magnifiquement remplacer le modeste oratoire des débuts. Grâce à la vitalité de sa communauté, Preuilly donna naissance, à son tour, à trois filles : Vauluisant en 1127 (près de Villeneuve l’Archevêque dans l’Yonne), puis Sacré-Port en 1145, devenue Barbeau (près d’Hericy en Seine et Marne) et enfin La Colombe en 1146 (près de Le Blanc dans l’Indre).

Au XIIIe siècle, la prospérité semble avoir généré un certain relâchement des mœurs, puisque le pape Grégoire IX en 1238, fulmine contre quelques religieux de Preuilly coupables d’avoir rejeté le froc et d’être retournés « comme des chiens » à la vie du monde. Le XIVe et le XVe siècles furent marqués par divers faits de pillages et de guerres, notamment pendant la guerre de Cent Ans, en dépit de l’autorisation accordée aux moines, par le roi Charles V, de tenir un poste fortifié pour leur sauvegarde, au lieu dit la Pescherie, près d’Egligny.

Cependant, la ferveur revint à l’intérieur comme à l’extérieur du monastère. En 1455, le Chapitre général de Cîteaux fait état de miracles à Preuilly, qui voit converger de plus en plus de pèlerins vers son église consacrée à Notre-Dame, comme toute église cistercienne. L’afflux populaire, en s’amplifiant, finira d’ailleurs par perturber la vie monacale, si bien qu’en 1687, on transféra la statue vénérée de la Vierge dans l’excavation d’un gros chêne de la forêt de Preuilly, éloignant l’agitation des pèlerins à plus d’un kilomètre du silence claustral.

De cette époque date la dévotion toujours vivante à Notre-Dame du Chêne et le pèlerinage annuel qu’elle mobilise encore de nos jours, entre le lieu-dit Le Chêne et les ruines de l’abbaye, à l’exception de l’interruption post-révolutionnaire de 1789 à 1866.

Entre temps, en 1536, la fonction abbatiale avait changé, comme dans beaucoup d’abbayes. De « régulier » qu’il était, l’Abbé devient « commendataire », c’est-à-dire désigné par le pouvoir séculier avec les déviations qui souvent en découlent pour la vie de l’abbaye, tant sur le plan spirituel que matériel. Et, bien que le nombre de religieux passe de 15 à 26 d’après un document de 1560, le monastère décline notamment sous l’effet des guerres de religion, de nouveaux pillages et même d’un incendie causé par la foudre tombée sur le clocher en 1634.

Au début du XVIIIe siècle, de grands travaux de rénovation sont exécutés tant au niveau de l’église que du cloître et des bâtiments adjacents, avec consécration solennelle par l’Abbé de Cîteaux en personne, du nouveau maître-autel et des cinq chapelles du transept, dédiées à saint Donat, à saint Benoît, à la Sainte Vierge, à saint Bernard et à saint Pierre, en 1715.

Mais, à Preuilly comme ailleurs, la révolution viendra ruiner le monastère : la communauté des dix derniers religieux est dissoute et dispersée le 25 novembre 1790. Les bâtiments conventuels et l’église « à démolir » sont déclarés « biens nationaux » et mis en adjudication le 28 avril 1791 en plusieurs lots. Ils sont donc acquis par plusieurs adjudicataires puis, au fil des années, revendus à divers acheteurs (dont Maret, futur duc de Bassano, secrétaire particulier de Napoléon), cependant que la démolition se poursuit.

C’est alors qu’interviennent le Docteur Henri-Marie Husson et son épouse Zoé Odiot (fille de l’orfèvre parisien). Médecin de l’Hôtel Dieu de Paris, propagateur de la vaccine antivariolique en France, et président de l’Académie de Médecine, le Dr Henri-Marie Husson rachète peu à peu, de 1829 à 1842, les divers lots de l’ancien monastère démantelé, lui redonnant ainsi son unité de naguère. Son fils, Gorges acquiert la dernière pièce, le logis abbatial, en 1866. Les démolitions sont stoppées et la famille s’attache désormais à sauvegarder les vestiges de l’ancienne abbaye.

A quelque chose près, ils étaient à l’époque, dans l’état où nous les voyons aujourd’hui.

Ces vestiges sont, pour l’essentiel, les murs du sanctuaire de l’église jusqu’à la naissance des ogives, avec un chevet plat ajouré de trois baies, les murs latéraux de la nef, le croisillon sud du transept avec la belle rosace à huit lobes, les soubassements de la salle du chapitre dans laquelle subsistent deux colonnes et chapiteaux à feuilles d’eau.

Vers 1860, une chapelle a été aménagée aux dépens de ce qui était jadis la chapelle de l’abbé, la sacristie de l’église et l’armarium. Du cloître, plus rien ne subsiste si ce n’est la belle porte de l’angle nord-est donnant accès à l’église et, à coté d’elle, l’enfeu de ce qui est probablement la sépulture d’Artaud, premier abbé de Preuilly.

Enfin, parmi les bâtiments de l’exploitation agricole, dont l’activité perdure, les plus remarquables sont ceux de la ferme du Domaine, au nord, et surtout ceux de la ferme ou grange des Beauvais, au sud-ouest.

La grange des Beauvais est actuellement l’objet d’études, dans le cadre des recherches qui visent à mieux connaître l’économie cistercienne, si efficace et exemplaire, développée à travers toute l’Europe, par ces moines – européens précurseurs -, qui savaient si bien conjuguer la prière et le travail, conformément au précepte Ora et Labora selon lequel s’organisaient leurs journées.

Preuilly, comme beaucoup d’autres sites cisterciens, est adhérente à la Charte européenne des Abbayes et sites cisterciens.

L’Abbaye de Preuilly, classée Monument Historique en 2004, est ouverte au public le dimanche du patrimoine ainsi que le quatrième dimanche de septembre à l’occasion du pèlerinage annuel de Notre-Dame du Chêne.

Nous accueillons également, – dans la mesure de la disponibilité de nos guides bénévoles – les groupes qui en font la demande à l’avance par courrier électronique à l’adresse arap@preuilly.eu.

Dr Yves Husson – Preuilly – 2014