Ancienne Abbaye de Preuilly – Samedi 28 février 2009
Réunion fondatrice du Centre d’étude et de recherche de l’Abbaye de Preuilly

II Compte-rendu des échanges
L’actualité de l’intérêt pour les cisterciens
Jean-François Leroux-Dhuys, Président de la Charte européenne des Abbayes et sites cisterciens.
Au nom de tous ceux qui sont ici, d’abord, un grand merci, et peut-être des applaudissements !
La famille Husson, Yves en particulier, a été parmi les premiers adhérents de la Charte. Si mes souvenirs sont bons, cela date des années 80-90. La Charte est devenue officielle en 1988. Elle rassemble les propriétaires, qu’ils soient privés ou publics, de grandes ou petites abbayes, et tous ceux qui, de près ou de loin, ont réalisé qu’ils ne pouvaient pas faire autrement que de se regrouper en réseau, parce qu’ils s’intéressaient à des monuments ou à des sites qui avaient été, ou étaient encore, cisterciens. Je dis « étaient encore » parce que dans notre réseau il y a une bonne vingtaine d’abbayes cisterciennes vivantes ; toutes ne le sont pas et beaucoup en souffrent.
Et parmi ces propriétaires, il y en a une bonne partie qui sont des familles et qui, depuis toujours, comme à Fontfroide, comme à Fontenay, comme vous ici, auront passé des générations à sauver et à entretenir ce patrimoine. Jusqu’à une certaine époque, cela s’est fait un peu confidentiellement car ce n’était pas dans l‟air du temps. Je dois dire qu’il y a un phénomène qui se développe actuellement, un intérêt croissant autour du thème cistercien, du tourisme et de la culture cistercienne.
A cela , il y a des raisons, nombreuses.
Il y a les propriétaires, publics ou privés, qui ont pris conscience qu’il fallait redonner vie à ces monuments ; mais ils l‟ont fait aussi, sans doute, parce qu’il y a une ambiance générale autour de ces monuments.
La Charte est sans doute aussi, en partie, responsable de ce phénomène ; on voit maintenant partout notre logo, mais là encore, pourquoi ? Pourquoi ce phénomène qui rend les cisterciens si intéressants à tant de gens ? La plupart des abbayes cisterciennes ont 30 000, 50 000, 100 000, 180 000 à Sénanque, visiteurs par an.
Je crois que cela vient de la spécificité des cisterciens et de ce qu’il en demeure aujourd’hui.
– En fait, les cisterciens ont toujours été en retrait du monde et aujourd’hui, leurs sites sont peut-être les seuls qui aient encore une existence architecturale et culturelle en dehors des villes. Finalement, tous ces sites sont encore ruraux, dans un monde qui est essentiellement urbain.
– Il y a ce mythe aussi du faire-valoir direct et de l‟’autarcie, cette autarcie vécue à l’intérieur d‟un mur, qui est en quelque sorte l’espace sacré clos (la clôture dont parle Bachelard, qui fait qu’à l‟intérieur du « clos » il ne se passe que des choses « sacrées »).
– Il y a le fait que, effectivement, le travail n‟’est pas « en miettes », dans une civilisation urbaine aujourd‟hui où tout le monde est « en miettes », où il y a des travaux par spécialisation. Les cisterciens, c’est au contraire la totalité des choses sur place, une autarcie qui est globale.
Tout ceci fait son chemin, d’une manière sans doute inconsciente, mais en 1988 quand nous avons créé la charte, il n‟y avait que trois livres sur les cisterciens ; Daniel Rops, dans son Histoire de l’Eglise (20 ou 30 ans auparavant) en avait écrit deux pages. Aujourd‟hui, il sort un livre tous les trois mois. Il n’est pas sûr que ce soit forcément tous de bons livres, mais il n‟en reste pas moins vrai qu’il y a actuellement une ambiance considérable. Il n’y a pas de revue qui, d’une manière ou d’une autre, tous les six mois, ne prenne comme thème les cisterciens. Alors, c‟est dans cette ambiance générale, qui a été, sans doute, favorisée par la Charte, que les propriétaires jouent leur rôle, cette fois-ci au grand jour, alors qu’en fait, – on en a bien eu la démonstration ici – , cela faisait des générations qu’ils jouaient leur rôle d’une autre manière. Les propriétaires, aujourd‟hui, sont en quelque sorte dans un milieu ambiant qui est prêt à recevoir le témoignage de leur travail.
C’est la raison pour laquelle je suis profondément heureux de découvrir aujourd‟hui que vous, à la suite d’autres, vous allez spécialiser votre travail, car – peut-être est-ce une conclusion que l’on peut tirer aussi aujourd‟hui -, il n’y a pas d‟avenir culturel sur un site s’il n‟est pas un peu spécialisé. Il est évident, et c’est ce qui fait l’échec actuel des châteaux de la Loire qui perdent 20% de leurs touristes chaque année, que les visiteurs en ont marre de voir régulièrement le même lit dans chacun des châteaux, où a couché telle maîtresse de tel roi. Il est évident que, à force de rencontrer des châteaux qui se ressemblent tous, on perd le goût de les visiter.
L’Abbaye de Fontenay, a centré son action sur la forge , Le Valasse sur l’avenir durable, d’autres abbayes sur d‟autres thèmes, Noirlac sur le chant ; il est clair qu’à partir
du moment où les abbayes cisterciennes ont une spécificité propre, leur projet a une chance d’aboutir.
Donc félicitations bien évidemment, pour tout ce que vous avez fait depuis des générations ! et grand espoir que tous les thèmes que vous allez développer ici puissent être les bons et que vous soyez un des fleurons de la Charte. On est très fiers de vous.
Merci.
Patricia Husson, fondatrice de l‟ARAP.
Je tiens à vous remercier de ces mots très chaleureux qui nous vont droit au coeur et pour ces encouragements. Je pense que cette journée va nous permettre de continuer, d’avancer et de vous recevoir ici de nombreuses fois.

Le CERAP et la recherche universitaire

Gérard Mottet, Professeur des universités
Mesdames, Messieurs, Cher amis,
Je suis très ému d’avoir été choisi pour parler du lien que l‟on peut construire entre le CERAP et la recherche universitaire. Je crois qu‟il faut effectivement articuler la recherche universitaire et la recherche associative ; il faut que s‟associent les sociétés savantes ou les sociétés du savoir, aux labos, aux équipes de recherche universitaire. Le grand intérêt de la recherche universitaire, et nous en avons une preuve aujourd’hui, c’est qu‟elle suscite de jeunes talents, qu’elle permet le renouvellement des générations de la recherche et donc la transmission des étapes de la vision de l’histoire, mais aussi des sciences : Il faut une vision historique de chaque discipline de recherche.
Quatre mots caractérisent la recherche universitaire :
– la spécialisation (avec les moyens et les techniques modernes) – la documentation (rassembler de la documentation), – l’internationalisation (c‟’est essentiel) mais aussi, et j’insisterai beaucoup là-dessus, – l’interdisciplinarité.
Une recherche sur une abbaye cistercienne, quelle qu’elle soit, c‟est de l‟’histoire ancienne, de l’histoire médiévale, de l’histoire religieuse, de l’archéologie, de la lecture de documents médiévaux, de l‟histoire de l’art, mais aussi de la géologie pour la recherche de l‟origine des matériaux de construction ; ce matin on nous a bien présenté le calcaire et le grès « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon église », mais encore faut-il étudier la pierre !
C’est aussi de l’hydrologie, on ne fait pas d’hydraulique cistercienne sans faire de l’hydrologie, de la dynamique fluviale et de l’hydrogéologie. Il faut replacer cette hydraulique cistercienne dans le cadre des études de balancement des nappes. Ce matin je suis venu par le Moulin de Preuilly, c’est à dire par la région d’Auxerre, et je suis passé par la rue de Preuilly, à Auxerre, je suis passé tout près de mon petit village de Neuilly, à Champlay, où il y a un moulin, qui a été admirablement décrit par mon voisin, Monsieur Delahaye, ce qui montre très bien que la vision de Preuilly n’était pas qu‟une vision fermée. C’était aussi une vision liée au bassin hydrographique de l’Yonne et de la Seine.
C’est encore de l’archéologie et on ne peut pas faire d’archéologie sans faire de la sédimentologie, de la géochronologie, de l’archéologie aérienne etc. Ce sont deux géographes, René Goguey et André Humbert qui ont été les pionniers de l’archéologie aérienne et avant de venir, j’ai regardé Preuilly sur GoogleEarth. C’est fascinant tout ce qu’il y a à voir, tout ce qu’il y a à faire autour de cette Abbaye de Preuilly, simplement par l’archéologie aérienne.
Cela peut concerner les forestiers. « L‟histoire et le devenir des forêts cisterciennes et monastiques », c’est le projet qui va sans doute être mis en place autour de l’Abbaye de Pontigny. Puisque nous sommes tout proches de la forêt de Pontigny et qu’un des thèmes de recherche sera celui de la forêt, nous allons pouvoir travailler ensemble.
Mais cela concerne aussi les maçons, les tailleurs de pierre, les tuiliers. Sur une carte de la région de Pontigny du XVIIIe siècle, que je possède, il n’y a que deux signes pour indiquer Pontigny, (le village n’existe encore pas), il y a le signe « abbaye » et un signe « tuillerie », avec deux « l »…
Exactement comme l’articulation entre la recherche universitaire et la recherche associative est essentielle, il faut une articulation avec les activités professionnelles : comme il y a ora et labora il faut aussi scientia et labora.
Il convient donc de bien articuler les recherches sur Preuilly et j’ai été très heureux de la présentation de Chantal Fouché – avec les recherches du monde cistercien (je ne vais pas toutes les énumérer, le comité scientifique de Cîteaux, ARCCIS etc.), – avec les recherches universitaires sur le monde cistercien, mais aussi – avec la réalité géographique actuelle. Le fait monastique cistercien n’est pas qu’un fait d’histoire c’est aussi un fait d’actualité. J’ai été fasciné de voir les travaux de métallurgie de très haut niveau sur des métaux très spéciaux qui sont réalisés actuellement à l’Abbaye d‟Acey.
Enfin, les recherches universitaires sur le monde cistercien sont internationales et il faut qu‟elles le demeurent, mais il faut aussi une recherche de proximité.
Proximité des universités parisiennes, dont la Sorbonne, des universités de Champagne Ardennes, de Picardie, de Lorraine, de Bourgogne, pour que les études sur les
liens de Preuilly avec les territoires proches soient bien pris en compte : Preuilly-Vauluisant, Preuilly-Auxerre, Preuilly-Pontigny etc.
Proximité des sociétés savantes d’Ile de France, de Champagne, de Bourgogne (que j’ai l’honneur de représenter ici) et association des travaux de celles-ci avec les universités. Les chercheurs des sociétés savantes de proximité, dont vous êtes, ont cette qualité irremplaçable, d’être en permanence, par leur vie même, imprégnés des lieux. Imprégnation de vie quotidienne que n‟ont pas forcément les chercheurs universitaires obligés de vivre, d‟enseigner, de rechercher, en majorité dans la ville universitaire ou ils sont affectés. C’est pourquoi cette association université-sociétés savantes est essentielle dans l‟intérêt de tous.
La recherche qu’elle soit historique, théologique, archéologique, géologique, doit être de plus multiscalaire, du local au mondial, du particulier au général et vice versa. L’enfermement de la recherche est le contraire de la recherche.
Certes, la vie cistercienne est d‟une certaine manière une vie d‟enfermement, fondée sur une règle plus que sur un siècle, mais si la vie quotidienne et le travail sont effectivement enfermés dans une limite territoriale, le cloître, la forêt proche, la vie de prière permet l’union au monde, l’union de pensée avec les autres communautés et bien sûr l‟union à Dieu. Dans la devise cistercienne « ora et labora » si par définition le labora fixe l’être en un lieu, le jardin, la forêt, le bief, le moulin, la forge, la tuilerie, le ora l’ouvre au monde et à Dieu.
L’enfermement de l’esprit et de la prière est le contraire de l’esprit et de la prière.
L’enfermement du CERAP sur Preuilly serait le contraire de Preuilly.
Le CERAP doit donc, et il le fait déjà, se situer dans cette perspective d‟ouverture et la présentation de ses projets par Chantal Fouché-Husson en est la preuve.
– Ouverture aux sociétés savantes de proximité, – ouverture aux universités, proches ou lointaines, – ouverture aussi au monde institutionnel, local, départemental, régional, national, européen, universel même, comme le mot catholique lui-même, dans son sens premier veut dire universel.
Ainsi il est au Vatican un éminent religieux polonais chargé de tous les travaux sur l’ordre cistercien, en relation avec l’Académie pontificale des sciences.
Il n’y a pas de limite au savoir des sociétés du savoir, il n’y a pas de limite à la recherche universitaire. Il n’y a pas de limite à l‟ouverture d’esprit, que l‟enfermement sur soi et sur ses certitudes. La recherche, c’est le rayonnement de l‟esprit, de l’esprit qui souffle où il veut. Alors, si je puis me permettre de poser une sorte de devise en ces lieux, « ora, scientia, et labora »
Merci.

L’intérêt de l’Abbaye de Preuilly
Paul Benoit, Professeur des universités
Disons d‟abord que j‟en veux beaucoup à Jean François [Leroux], je voulais commencer par des remerciements à la famille Husson, je les renouvelle, comme lui je suis extrêmement satisfait de ma présence ici.
Ceci étant-dit, je suis un peu pris au dépourvu, étant donné que je ne connaissais pas Preuilly. Je connais à peu près toutes les abbayes cisterciennes de Bourgogne, de Champagne et de Franche-Comté parce que le découpage administratif, qu’il faut suivre quand on veut rentrer dans les normes du ministère de la culture, m’a amené à diriger un programme qui me menait de la Nièvre aux limites du Jura, mais ne me faisait pas franchir la Seine.
Donc c’est avec un très, très grand plaisir que je me trouve ici dans cette abbaye qui, ce sera ma première remarque, est une abbaye oubliée, méconnue. C’est une abbaye d‟une puissance économique comparable à celle des plus grandes, en laissant de côté Clairvaux, car Clairvaux est hors norme. C’est une des plus riches et une des plus puissantes et qui a eu, pourtant, un rayonnement limité ; si l‟on rentre dans l‟histoire de l’ordre, elle a peu de « filles ». J’en discutais avec Benoît Rouzeau qui est le grand spécialiste de Morimond, Morimond a eu beaucoup plus de filles que Preuilly et c’était probablement une plus petite Abbaye. Il y a là quelque chose qu’il faudrait creuser peut-être, et là, je rentre déjà dans la question des programmes scientifiques à développer : le rapport de l’Abbaye avec ses sœurs, avec ses filles.
Deuxième point qui a été mis en avant, c‟est le rapport de Preuilly avec le monde, avec la société extérieure. Ce qui caractérise Preuilly, et c‟est pour moi un fait très important, c’est que c’est la première Abbaye cistercienne fondée dans le domaine royal. Les autres abbayes sont bourguignonnes, champenoises, mais là c’est l‟entrée dans le domaine royal. Je ne connais pas tous les actes de Preuilly, mais tous les gens qui ont travaillé de manière tant soit peu sérieuse sur cette abbaye, se rendent compte de l’intérêt qu‟y ont porté les rois de France. Louis VII, Philippe-Auguste se sont intéressés à Preuilly.
Louis VII, me direz-vous s’est intéressé plus à Barbeau, au point de s’y faire enterrer mais, malgré tout, Preuilly est une abbaye qui a suscité l’intérêt des rois de France, face à d’autres abbayes qui étaient plus nettement bourguignonnes ou champenoises, à un moment où les rapports n‟étaient pas forcément très très bons entre le roi et ses vassaux. Cela fait partie des ces « Abbayes de frontière » qu’on va avoir. Et là, il y a vraiment un lien très intéressant à essayer de saisir entre le pouvoir politique et les abbayes, qui appartiennent à l‟ordre de Cîteaux, mais qui sont quand même dépendantes de tel ou tel seigneur et/ou de tel ou tel évêque ou archevêque.
Donc c’est une piste qui me semble particulièrement intéressante dans un domaine que je ne fais qu’effleurer dans mes recherches personnelles.
Pour entrer dans ce qui me concerne quotidiennement, c’est à dire l’histoire matérielle de ces abbayes cisterciennes, il est un fait qu’il faut étudier de manière beaucoup plus précise toutes les granges, quand je dis précise, je veux dire ne pas se contenter des textes, mais aller voir sur le terrain. Il y a vraiment toute une histoire à faire de ces granges pour comprendre l‟importance économique qu’a acquise cette abbaye, dans des terres qui étaient des terres à blé, qui sont toujours des terres à blé, on ne faisait pas tellement de betteraves à l’époque, Madame, mais on devait déjà élever des chevaux. Il y a donc une histoire économique à faire, en regardant les lieux, les terroirs, une histoire qui doit être incluse dans un environnement qui n’est pas seulement social mais naturel, écologique. Et ça m’amène à cette question : comment concevoir ce qu‟’il faudrait faire ici ?
– Eh bien ici, excusez-moi, il faut creuser !
Si on veut faire un jour une histoire sérieuse de l‟Abbaye de Preuilly, il faut une étude archéologique. Entendons-nous, je ne préconise pas qu‟on transforme l‟abbaye de Preuilly en un chantier de fouilles permanent. Mais il y a des choses qu’il faut étudier de beaucoup plus près, en particulier le bâtiment qui a été examiné déjà, par François Blary, par Denis Caillaux : la grange des Beauvais. C‟est un bâtiment exceptionnel et pour lequel on n’a qu’une approche en surface puisque les chapiteaux émergent à 40 cm du sol : On aimerait savoir ce qu’il y a dessous !
Une histoire vraie de l’Abbaye de Preuilly passe obligatoirement par une approche archéologique et la question est de savoir comment l’équilibrer avec la vie d’une entreprise, avec la vie d‟un lieu qui est magnifique, et là c’est un vrai problème, que je dépose entre les mains de la famille Husson. (rires)
Merci.
Patricia Husson, fondatrice de l’ARAP
Merci infiniment, d‟abord pour les mots que vous avez prononcés et pour cette ouverture du champ de la recherche. J’ai bien compris que nous allons devoir beaucoup creuser, au sens propre et au sens figuré !
Chantal Fouché Husson, Directrice du CERAP
La parole est à vous. Est-ce que François Blary aimerait prendre la parole pour nous parler du travail qu’il a déjà accompli avec Nathalie Verdier-Picard ?

François Blary, Maître de conférence à l’Université d‟Amiens

Sur le domaine de Preuilly, Nathalie Picard a servi d’éclaireur en réalisant une étude en 1993. Elle a travaillé sur les sources écrites déjà rassemblées et accessibles. Ce qui est intéressant à Preuilly, c’est que l’espace est généreux, même si il y a une activité économique importante. Donc cela veut dire que faire une intervention archéologique, dans Preuilly, est envisageable. Il ne s‟agit pas de prendre pelle et pioche et d‟attaquer le sous-sol de Preuilly en sortant d’ici, mais bien évidemment de réfléchir aux besoins d’intervention pour que ce soit de l’archéologie raisonnée. On nous parlait tout à l’heure d’interdisciplinarité, ce n‟est pas une archéologie toute seule qui va devoir travailler, c’est en effet un travail d‟équipe : à partir d’un noyau, on assemble ensuite les différents composants.
Je pense qu’à l’initiative de la famille Husson l‟effort est déjà bien engagé. Mettre en place une archéologie ici, c‟est faisable, c’est salutaire et nécessaire. Cela demandera de travailler avec plusieurs universités puisque les compétences sont réparties sur plusieurs territoires, du coté de Dijon, d’Amiens, de Paris, ou encore plus loin, du coté de Lille (puisqu’on a parlé d’Arnaud Timbert).
Pour abréger, de notre côté, nous proposons dès le mois de juillet prochain de revenir faire de la topographie, de faire des levés, un acte non-destructeur. Et pour les actes destructeurs, puisque l’archéologie ne reconstitue jamais tout à fait ce qu‟elle a détruit, cela nécessite d‟être longuement réfléchi et… modéré. Il ne s‟agit en aucun cas de faire une « total archeology » à la mode anglaise, immédiate et d’un seul tenant, mais au contraire d’étaler l‟effort sur du long terme. Et je pense qu’à l’instar de la famille Husson qui a montré 180 ans de bons et loyaux services à l’idée cistercienne implantée dans la Brie, l’archéologie ne pourra pas faire moins.
Merci.
Chantal Fouché, Directrice du CERAP.
Je vous invite vivement à consulter le travail que François Blary a patronné sur les granges « Le domaine temporel de Preuilly », et nous avons avec nous deux représentants des granges de proximité de Preuilly, la Tuilerie de la Mare Vincent et le Moulin d’Estrées qui pourraient elles-aussi faire l‟objet de travaux.

Denis Cailleaux, Maître de conférence à l’Université de Dijon
Il y a quelqu’un que j‟aurais bien aimé entendre parler, c‟est notre ami d’Echouboulains, Gérard Delahaye qui pourrait nous dire un mot, au niveau régional, de ce que l’on sait de l’importance du patrimoine de l’abbaye de Preuilly.

Gilbert-Robert Delahaye, historien local

Mes talents sont très modestes, je suis un historien local. Ma famille est fixée à Echouboulains – un village qui est à 12 km à l’ouest de Preuilly -, depuis 1650 au moins, antérieurement on n‟a pas d‟état civil. C‟est en étudiant l‟histoire de mon village, l‟histoire d‟Echou et de Boulains, – Echou était une des 17 granges de Preuilly -, que j‟ai été amené à mieux connaître Preuilly. Et, je m‟en excuse, mais je vais dire des choses désagréables pour Preuilly !
Les moines de Preuilly, ont été assez mal perçus à Echouboulains. Ils percevaient des droits et on les considérait comme des exploiteurs. Les moines étaient bien organisés, ils avaient un percepteur qui recueillait le fruit des travaux des gens du cru (on disait un «grenetier » au Moyen Âge) et l’exploitation où ils percevaient ces droits s’appelle encore aujourd’hui la « ferme de la recette ». Il faut aussi savoir qu’Echou n’est pas entré dans leurs biens immédiatement, les moines l’ont accaparé progressivement.
Autre point, les cisterciens étaient extrêmement procéduriers et poursuivaient leurs voisins sans relâche. Bref, lorsqu’on étudie l‟histoire de leurs granges, on s‟aperçoit qu’il y avait différentes facettes à leurs activités.
Disons que, pour aujourd’hui, on ne retiendra que leur spiritualité et la beauté de l’architecture qu’ils nous ont léguée.
Brigitte Bouvrain, guide conférencière du patrimoine provinois
Je souhaite demander ce qu‟est devenu l’autel que l’on voit sur les photos anciennes.
Yves Husson, Président de l’ARAP
Un jour, en assemblée générale à l’Abbaye de Fontenay, j‟étais assis au fond de la salle et je vois arriver Madame Terryl Kinder qui s assied à coté de moi. Elle regarde mon badge et elle s’exclame : – vous êtes de Preuilly ? Qu’est-ce que vous avez donc fait de votre autel? J’ai répondu : – Ne soyez pas scandalisée, l’autel a été détruit par des chutes de pierres et il est complètement démoli. Il a été mis à l‟abri, dans le lapidaire »
Ça pourrait être une tâche de le restituer, après sécurisation.

Patricia Husson, fondatrice de l’ARAP
Je voudrais préciser, que la table de l’autel n‟était pas ancienne, la pierre d‟autel avait déjà été reconstituée, puisque nous avons trouvé du béton et des fers dans les débris.
Yves Husson, Président de l‟ARAP
Je peux ajouter que sur les gravures anciennes on voit au moins deux versions, l’une sans autel, sans doute peu après la révolution, et l‟autre avec un autel qui n‟a rien à voir avec celui que nous avons connu et devant lequel a été célébré mon mariage.
Concernant la question de l’archéologie aérienne qui a été évoquée tout à l‟heure, je voudrais dire que la grande sécheresse de 1976 nous a permis, grâce à une photo que l’on nous a courtoisement communiquée, de voir très distinctement dans le milieu d‟une prairie, à distance des bâtiments encore existants, des traces de substructures qui pourraient faire l’objet de fouilles.
Gaëtan Husson, Trésorier de l’ARAP
J’aurais aimé avoir vos avis sur le statut, la validité, des différents plans de Preuilly qui sont arrivés jusqu‟à nous.
Bernard Peugniez, auteur de Routier cistercien
La difficulté, c‟est que qu‟il y a très peu de documents graphiques sur les établissements religieux urbains, et ruraux à plus forte raison. Vous avez, si mes souvenirs sont bons, deux documents qui concernent Preuilly, l‟un de la fin du XVIIe et l‟autre du XVIIIe siècle. Ces documents vous donnent probablement avec exactitude, la situation de ce moment-là, sachant que les choses ont évolué beaucoup entre le XVIIe et le XVIIIe, donc ça n‟est pas la situation à l‟époque médiévale, mais la situation à l‟époque moderne.
Je crois qu‟il faut insister là-dessus :
Il faut bien imaginer que ces abbayes cisterciennes ont vécu jusqu‟à la dernière minute et les bâtiments que nous avons autour de nous sont encore très représentatifs de ce qu‟étaient l‟abbaye à la veille de la révolution.
Il faut bien imaginer que les moines de Preuilly dans les années 1740-1750 ne vivaient plus dans un monastère médiéval, mais vivaient dans un monastère de l‟époque classique, avec un cloître qui avait, très probablement, été refait au XVIIe, au XVIIIe siècle. Ils vivaient dans des bâtiments tels que ceux qui subsistent aujourd’hui et l’abbaye médiévale avait, en fait, disparu depuis longtemps, à l’exception de l’église abbatiale qui, elle-même, avait été assez profondément transformée dans son décor.
Ayons donc toujours cela à l‟esprit, que le Moyen Âge, au moment de la révolution française, c’est quelque chose de très lointain dans l‟histoire de ces bâtiments et que, si nous avions été ici en 1790 ou en 1800, nous aurions vu une charmante maison de l’époque de Louis XV ou de l‟époque de Louis XVI et pas un établissement médiéval.
Chantal Fouché Husson, Directrice du CERAP
Y-a-t’il d‟autres questions, d’autres remarques, toujours sur vos impressions après la visite du site ?
Benoît Rouzeau, auteur d’une thèse (1)  sur l’Abbaye de Morimond
Pour ma part, j’ai fait ce matin la visite en compagnie de François Blary et j’ai écouté avec attention ses explications puisque je m‟intéresse personnellement aux réseaux hydrauliques, sujet qu‟il a déjà abordé à Preuilly.
J‟aimerais qu‟on puisse poursuivre ce travail et connaitre l‟étendue du réseau hydraulique de Preuilly ; Je pense qu‟il serait intéressant de faire à Preuilly, ce que nous avons fait sur le site de Morimond. Nous avons réalisé une campagne de prospection géophysique par méthode électrique. On envoie un petit courant électrique dans le sol au moyen d‟électrodes espacées de cinquante centimètres, un mètre et deux mètres, et ça donne une cartographie du sous-sol. Quand le courant électrique passe très bien, on a peu de vestiges ; quand le courant électrique ne passe pas, on a des vestiges maçonnés : collecteurs, murs, etc. Cela peut donner des résultats, plus ou moins intéressants. À Morimond, ça a très bien marché ; on a obtenu tout le plan de l‟Abbaye médiévale et XVIIIe et tout le réseau hydraulique, les canalisations de grande taille, c’est-à-dire des canalisations d‟un mètre sur deux ou d‟un mètre sur un mètre.
Je pense que Preuilly peut fort bien se prêter à cette technique d‟investigation archéologique qui est non-destructive, avant de faire d‟autres choses.
Merci.
Chantal Fouché-Husson, Directrice du CERAP
Si vous n‟avez plus de questions à poser sur le site lui-même, peut-être pouvons-nous nous intéresser à notre projet d‟étude de l‟iconographie mariale.
L’iconographie mariale
Gérard Gros, Professeur à l’Université de Picardie
Je voudrais m‟associer aux remerciements qui ont été adressés tout à l’heure à la famille Husson qui nous reçoit, et signaler aussi que je ne suis ni iconographe ni iconologue.
Je peux cependant, sur un point de détail, apporter une précision à ce qui a été indiqué ce matin ; il y a eu à la fin du mois de janvier un colloque (dont les actes seront publiés probablement en 2010), organisé à Rouen par Françoise Thélamon, professeur à l‟Université de Rouen et qui s„intéressait à la Vierge des litanies, c’est-à-dire à la Vierge de l‟Immaculée Conception. Là, nous avons entendu par exemple la communication très brillante de Françoise Baron qui a dit, à peu près, que l‟iconographie de la Vierge de l‟Immaculée Conception est une iconographie extrêmement morcelée, presque éclatée, justement avec cette accumulation de “litanies” appliquées à la Vierge : hortus conclusus, fons signatus, etc.
C‟est là, par comparaison, l‟avantage des représentations iconographiques de la Vierge des XIIe et XIIIe siècles, entre autres avec cette image protectrice de la Vierge au manteau. On sait qu‟à cette époque le manteau, c’est-à-dire le vêtement long, n‟était pas porté par tout le monde et pouvait être précisément le symbole d‟un état social supérieur, éventuellement protecteur. Quelqu‟un faisait le geste de prendre quelqu‟un d‟autre sous son manteau et assurait de la sorte sa défense. L‟image de la Vierge au manteau pourrait être une image sociale de reine, ou de suzeraine en tout cas, qui s‟est étendue à un certain nombre d‟ordres religieux, mais dont je ne serais pas étonné qu‟elle fût apparue pour la première fois précisément dans l‟ordre cistercien.
Cela dit, si l‟on s‟intéresse à la façon dont saint Bernard, dans ses sermons par exemple, a présenté la Vierge, Vierge médiatrice, intercesseur etc. (pensons entre autres au sermon sur l’Aqueduc), il me semble qu‟on entre au coeur de la civilisation du Moyen Âge plus encore que de sa spiritualité. Comme le disait Émile Mâle, je crois, dans le cours du XIIIe siècle on voit l‟Europe se couvrir du blanc manteau de Notre Dame avec ses cathédrales, que l‟on croit toutes dédiées à Notre Dame alors que celle de Beauvais par exemple est dédiée à saint Pierre, celle de Vienne dans l‟Isère à saint Maurice ; mais enfin « on ne prête qu‟aux riches » en quelque sorte, et ces cathédrales sont, il est vrai, dédiées en majorité à la Vierge.
Je crois que, moyennant cette expansion du culte marial, le Moyen Âge a été une période optimiste, je le vois pour la fin du Moyen Âge, par mes travaux de recherches qui
sont des travaux littéraires, et en particulier dans un texte normand qui date des années 1320 : L’Advocacie Nostre Dame. L‟homme, conscient d‟être pécheur, savait qu‟il risquait, au moment du Jugement dernier, d‟avoir affaire à Dieu le Père, un juge sévère et juste, alors que la Vierge, si peu qu‟on l‟ait priée dans son existence, ou pour peu qu‟on la prie au dernier moment, faisait peser le plateau de la balance dans le bon sens. La miséricorde venait ainsi corriger les rigueurs de la justice. La conclusion logique était que normalement l‟enfer devait être vide ou peuplé seulement de quelques récidivistes endurcis.
(La période dont je parle est celle qui précède la guerre de Cent ans, qu‟on présente néanmoins comme l‟automne du Moyen Âge, suivant l‟expression de Huizinga, comme une période très malheureuse, etc.).
Pour résumer, il me semble que si, ici, l‟on doit étudier la spiritualité cistercienne et notamment la spiritualité mariale de l‟ordre, on s‟intéressera forcément à l‟image de la Vierge dans la littérature et dans la poésie autant que dans l‟iconographie ; c‟est un sujet passionnant, à l‟étude duquel je suis prêt à contribuer, et qui peut mener assez loin.
Merci.
Chantal Fouché-Husson, Directrice du CERAP
Ce lien entre la spiritualité et la représentation, évidemment ne nous échappera pas et il fait partie de cette interdisciplinarité nécessaire que Gérard Mottet a évoquée tout à l‟heure.
On trouve beaucoup de publications sur la Vierge Marie ; il y eu à Orval, en 1998, un séminaire sur la Vierge cistercienne. Les interventions de ce séminaire ont été rassemblées en un manuel qui montre bien que, si beaucoup se sont intéressés à l‟aspect spirituel et intellectuel de la Vierge Marie au Moyen Âge, très peu se sont intéressés à sa représentation, notamment dans la statuaire. Les éditions du Zodiaque, se sont appliquées à publier des recueils sur les Vierges romanes, gothiques, sur les Vierges du Languedoc etc., mais jamais en relation avec une origine spirituelle définie, et notre projet serait de nous inscrire dans la recherche de ce qui fait la spécificité cistercienne de cette statuaire qui a évolué au cours des siècles.

Nathalie Ensergueix, représentant la Commission d‟art sacré du diocèse de Meaux

Je voudrais d‟abord m‟associer aux remerciements qui ont été adressés à votre famille, je représente ici aujourd‟hui la commission diocésaine d‟art sacré et je dois dire que l‟annonce de la création de votre Centre de recherche a reçu un accueil très très favorable au sein de la commission et le programme que vous avez présenté ce matin,
notamment cette triple lecture des choses, Monsieur Mottet l‟a très bien souligné tout à l‟heure, montre combien votre démarche est intéressante. Vous n‟oubliez pas que Preuilly est d‟abord un lieu sacré, un lieu de culte, et ça c‟est très important, vous n‟oubliez pas que Preuilly est un lieu de travail avec votre idée de catalogue numérique des artisans d‟art, et c‟est une formidable idée et vous n‟oubliez pas que Preuilly peut être un lieu de culture actuel intéressant. En cela vous rejoignez tout à fait les préoccupations de l‟église aujourd‟hui qui sont de mettre en valeur ce patrimoine religieux et de faire qu‟il soit apprécié dans toutes ses dimensions.
Donc si vous le permettez, je proposerai à la commission diocésaine de faire un compte rendu de cette journée que je mettrai sur le site internet du diocèse.
En ce qui concerne l‟iconographie, vous avez très justement rappelé qu‟on doit croiser l‟iconographie avec d‟autres champs d‟étude. L‟interdisciplinarité est très importante et on ne peut pas étudier une image, qu‟elle soit sur de la sculpture, sur de la peinture ou de la mosaïque, quel que soit son support, sans étudier son contexte de création et donc évidemment les textes.
Faut-il vraiment s‟interroger sur les raisons pour lesquelles il n‟y a pas d‟ouvrage sur ce sujet ? Vous évoquez les différentes publications sur la sculpture, sur les vierges qui ont été étudiées. Je pense que l‟iconographie mariale ne peut pas se résumer à de la statuaire, il faut qu‟elle soit étudiée dans un contexte plus large, avec tout ce qui a pu être créé avec les manuscrits, puisque le manuscrit est un support important.
Vous avez parlé tout à l‟heure de l‟exposition qui a eu lieu à la Cité de l‟Architecture et du Patrimoine, sur les Vierges. Si mes souvenirs sont bons, c‟est une exposition de moulages, puisque la spécificité de la Cité est de réunir les moulages qui ont été faits au cours du XIXe siècle sur l‟ensemble du territoire. Du fait des dégradations postérieures, notamment consécutives aux deux conflits mondiaux, aux dégradations par la pollution aussi, certains de ces moulages sont devenus des références d‟étude parce que les originaux ont disparu ou sont très détériorés, et ne sont plus lisibles
Donc c‟est vrai que la Cité de l‟Architecture et du Patrimoine peut être une source très intéressante pour l‟étude de l‟iconographie chrétienne. A Provins, dans le couvent des cordeliers, est conservée une partie des moulages de la cité de l‟Architecture et du Patrimoine, et il est dommage que Monsieur Christian Jacob (député Maire de Provins) ait dû nous quitter. Pourquoi ne pas imaginer, une collaboration. Dans la mesure où, ces moulages, sont stockés à Provins, il serait intéressant de voir avec la ville de Provins, si on ne pourrait pas travailler ensemble sur le thème de l‟iconographie chrétienne.
Chantal Fouché-Husson, Directrice du CERAP
Merci Nathalie, évidemment nous vous remercions beaucoup d‟être notre porte-parole auprès de l‟évêché, car nous aurons besoin de la tutelle de l‟Eglise, comme de la tutelle de l‟université.
Cela dit, nous avons aussi un paramètre marial spécifique à Preuilly, ce sont les pèlerinages. Et quand on voit la vogue des routes de Compostelle, l‟actualité de plus en plus vivante de ces quêtes de lieux, il y a certainement un travail à faire sur l‟histoire du pèlerinage de Preuilly, notamment dans l‟ensemble du Montois et c‟est une piste qui est très intéressante aussi.
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1 – Benoît Rouzeau : Le patrimoine hydraulique et industriel de l’abbaye cistercienne de Morimond entre la fondation et la guerre de Trente Ans : énergies et matériaux d’après les sourcces écrites et archéologiques., Université de Paris 1, 3 vol., 1074 p.